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Marcel Dupré: Arcani e Pensieri
Al momento di imbarcarsi per gli Stati Uniti all'inizio d'Aprile del 1950, Rolande Falcinelli ricevette da Marcel Dupré un piccolo taccuino scritto a matita, una specie di vademecum intitolato « Arcani e Pensieri », che rappresenta uno degli spiragli più rivelatori sul reale stato d'animo del Maestro nei confronti dei principi che imponeva a se stesso. Dietro il sorriso dell'uomo affabile e spiritoso conosciuto pubblicamente e in privato, si delinea il ritratto di un temperamento teso fino all'ascesi al compimento della propria opera, ma anche quello di un uomo capace di reazioni inflessibili e in cui traspare la scaltrezza del contadino della Normandia.
In queste pagine dalla grafia precisa, destinate ad alimentare le meditazioni della sua discepola, si trovano, senza un ordine preciso, citazioni di filosofi, pensieri di Beethoven e soprattutto aforismi di Marcel Dupré che vanno dai precetti per regolare la vita lavorativa a frasi sferzanti rivolte ai soggetti più disparati, ... senza dimenticare, alla fine del taccuino, le « Diteggiature razionali delle scale per la pedaliera » (che potevano tornar utili, visto che la destinataria dell'opuscolo suonava, durante la sua tournée americana, le Esquisses di Dupré e la propria Guitare enchantée !).
Rolande Falcinelli aveva inserito alcune di queste citazioni nelle sue pubblicazioni relative a Dupré.
Ne propongo qui per la prima volta degli estratti più consistenti e, benchè io stessa musicologa, non censuro le frecciate che Dupré riserva alla corporazione dei musicologi: parere ampiamente condiviso da parecchi veri musicisti e che anch'io non posso che sottoscrivere tanto è giustificato dalla mancanza di formazione musicale riscontrata in troppe edizioni musicologiche e dall'inesperienza in termini di pratica artistica che altera troppo spesso la capacità delle persone erudite, condizionate dal loro approccio esclusivamente libresco, di comprendere l'atto creativo nelle sue implicazioni più intime e irrazionali.
Sylviane Falcinelli.

Marcel Duppré: Secrets and Thoughts
As she was boarding to the United States, at the beginning of 1950, Marcel Dupré gave to Rolande Falcinelli a tiny, pencil-written booklet, entitled “Secrets and Thoughts”. It is a sort of vademecum, allowing a most revealing insight of the real Marcel Dupré, his attitudes and self-imposed principles. Behind his amiable and witty smile, publicly and privately renowned, we catch the portrait of an ascetic, devoted spirit, but also of an inflexible attitude and a Normandy peasant’s wisdom.
In these tidily written pages, intended to nourish his pupil’s meditations, the reader can find, without a defined order, philosophic quotations, Beethoven’s thoughts and, mostly, Marcel Dupré’s aphorisms, concerning principles to regulate life and work, cutting sentences about the most diverse topics... and, last but not least, the “Rational fingerings for pedal scales” (which could be useful, knowing that the addressed reader was going to play, during her American tour, Dupré’s Esquisses and her own Guitare enchantée!).
Rolande Falcinelli included some of these quotations in her writings concerning Dupré.
I present here some extended, unpublished excerpts and, although musicologist myself, I don’t censor the sharp remarks addressed by Dupré to the musicologist corporation: an opinion widely shared by musicians, and even by myself, being extensively justified by the lack of musical education in so many musicologic editions and by the artistic inexperience which too often compromises the ability of cultivated people to really understand the creative act in its deepest and irrational aspects.
Sylviane Falcinelli.

Marcel Dupré: Arcanes et Pensées

Lorsque Rolande Falcinelli embarqua pour l'Amérique début avril 1950, elle reçut de Marcel Dupré un petit carnet écrit au crayon, sorte de vade-mecum intitulé « Arcanes et Pensées », qui constitue l'une des percées les plus révélatrices que l'on puisse espérer vers l'état d'esprit réel du Maître, vers les règles qu'il s'imposait à lui-même. S'y dessine, derrière le sourire de l'homme affable et plein d'humour que l'on a connu en public et dans l'intimité, le portrait d'un tempérament absorbé dans sa poursuite d'un labeur protégé jusqu'à l'ascèse, mais aussi d'un homme capable de réactions inflexibles chez lequel survivent les côtés matois du paysan normand.

On trouve pêle-mêle, en ces pages au graphisme précis destinées à fournir un aliment utile à la méditation de sa disciple, des citations de philosophes, des pensées de Beethoven, mais surtout des aphorismes de Marcel Dupré qui vont de préceptes gouvernant une vie de travail à de cinglantes formules visant les cibles les plus diverses, ... sans oublier, à la fin du petit carnet, les « Doigtés rationnels des gammes de pédale » (cela pouvait servir, la destinataire de l'opuscule jouant lors de sa tournée américaine les Esquisses de Dupré et sa propre Guitare enchantée !).

Rolande Falcinelli avait quelquefois inséré des citations de ce carnet dans ses publications relatives à Dupré. J'en propose ici pour la première fois de beaucoup plus larges extraits et, bien que musicologue moi-même, je ne censure pas les piques adressées par Marcel Dupré à la corporation des musicologues: cette condescendance se voit, il est vrai, largement partagée par nombre d'authentiques musiciens, et je ne peux – hélas – qu'y souscrire tant elle tire sa justification du manque de formation musicale que trahissent trop de parutions musicographiques, ainsi que de l'inexpérience en matière de pratique artistique qui altère trop souvent la capacité d'érudits, conditionnés par leur approche exclusivement livresque, à pénétrer l'acte créateur dans sa vie intime et irrationnelle.

Sylviane Falcinelli



« Il n'est d'autre hiérarchie que celle des capacités.
   Il n'est d'autre noblesse que celle des actes.
   Il n'est d'autre religion que le culte des Ancêtres *.
   Il n'est d'autre chasteté que l'Amour partagé.
   Il n'est d'autre révélation que celle de l'expérience. »

[* Toute personne ayant approché Marcel Dupré se rappelle avec quelle vénération il parlait de ses parents et de ses maîtres. L'intangible fidélité à ceux-ci était une vertu cardinale que le Maître instillait à ses proches.]

« SUR L'INTELLIGENCE :

Pour atteindre la Vérité, creuse un puits par question.
Il n'est d'argument que celui qui repose sur une Vérité.
Il n'est de Vérité que ce qui échappe au dilemme.

Ce n'est pas assez de comprendre, savoir et retenir les enseignements. Il faut les vivre.

Tout germe fort perce son chemin vers l'oeuf. Tout être perce s'il est fort à tous les points de vue.

On joue aussi faux si l'on est au comma que si l'on est à une tierce de distance. Il en est de même du jugement.

L'essence d'un individu se révèle plus par ses intuitions que par ses pensées.
(Wagner)

Parmi les philosophes de tous les temps, 4 seulement ont été indiscutablement utiles à l'humanité:
1° - Socrate:
      Examen du sens des mots jusqu'à la notion irréfutable.
2° - Aristote:
      Tiens-toi en équilibre entre les qualités qui se complètent en s'opposant.
      (Ex.: courage – prudence).
3° - Bacon:
      Étudie la Nature. C'est le seul Maître.
4° - Descartes:
      Souveraineté de l'expérience.
      Les 4 opérations de la Méthode.

Ces 4 hommes suffisent à empêcher de proclamer la faillite de la philosophie.

Si tu pousses l'examen de la réalité jusqu'aux racines, selon la Méthode, tu trouveras la vérité... mais tu seras seul de ton avis. Imposer la réalisation de la Vérité est impossible: c'est aller contre les intérêts privés et corporatifs.

De même que toute loi doit être réexaminée selon le cours des évènements du monde, de même toute croyance de la pensée doit être rediscutée et réexpérimentée au cours des évènements de la vie intellectuelle.

Les ignorants semblent savoir beaucoup mieux ce qu'ils aiment que les gens instruits. »

« PHILOSOPHIE PRATIQUE IMPOSÉE PAR LA VIE MODERNE :

Chacun songe avant tout à protéger son argent, ses intérêts.
Protéger son temps, sa santé, ses idées, sa liberté, c'est protéger ses intérêts.

Heureux celui qui:
fait le métier pour lequel il est doué,
l'a commencé très tôt et le poursuit toute sa vie,
fait le métier de son père ou un métier voisin,
acquiert tôt l'installation, l'outillage, le savoir et la pratique nécessaires,
exerce son métier avec sûreté.

MES PRINCIPES DE MÉTIER:
TRAVAIL:
Emporter du travail partout.
En quelques minutes, on peut avancer de quelques pas.
Toute réalisation entreprise poussée jusqu'à la fin: une seule à la fois.
Ne pas faire ce que l'on peut faire faire à un autre, moyennant rétribution.
Réfléchir par écrit: toute idée aussitôt notée et classée.
N'écrire qu'au recto: on compare et classe avec certitude et facilité.
Écrire large ses brouillons.
Prendre le temps de classer.
Acheter l'utile, mais rien que l'utile.
Ne jamais demander à emprunter.
Travailler dans la solitude.
Détruire tous papiers, brouillons, doubles inutiles.
Ne laisser jamais perdre un renseignement, une information, une idée.
Mêmes places aux choses.
Mêmes ordres d'opérations.
Lire en annotant, et résumer clairement l'essence.

ENSEIGNEMENT:
Les étudiants professionnels paresseux sont rares en musique.
Faciliter l'installation et l'outillage des étudiants.
Ne pas pousser les amateurs.
S'écarter des musicologues.
Trouver l'axe de chacun.
Pas de discipline, mais des explications.
La timidité peut voiler des capacités. Briser le trac en donnant confiance.
La fiche de chaque élève complète, et tenue à jour.
Chasser et ne jamais reprendre les malpolis, les menteurs, les irréguliers, les désobéissants.
Barrer tout aux élèves adultères*.
Les clés techniques aux très grands, seuls.
Ne pas jouer pour les élèves.


[* Que l'on se rassure, Marcel Dupré ne se mêle pas ici de la vie privée de ses élèves ! L'image se réfère à ces élèves qui, inscrit à une classe, vont grapiller à droite et à gauche des leçons chez d'autres professeurs de la même discipline, croyant ainsi enrichir leurs connaissances par des enseignements concurrents voire divergents alors qu'il hypothèquent leurs chances de progrès en zigzagant entre des méthodes de travail qui brouillent la rationnalité d'une évolution rectiligne. Le règlement du Conservatoire de Paris, pendant des décennies, interdisait formellement à un étudiant inscrit de suivre parallèlement un enseignement concurrent.]

RELATIONS:
Silence absolu sur vos travaux en cours ou en projet.
Écrire brièvement, rien que l'indispensable.
Pas de courrier d'agrément.
Comprimer les rendez-vous.
Ne pas faire attendre. Ne pas prolonger.
Ne pas se répéter.
Pas de confidences.
Laisser parler, écouter le plus possible.
Fuir le monde, les chapelles, et toute invitation.
Éviter les discussions à tout prix. L'homme averti les sent venir de loin.
À toute question insidieuse, rester silencieux, créer un froid.
Se fâcher avec les encombrants.
Ne jamais se réconcilier *.
Silence sur les confrères.
Tout silence met l'indiscret et la maîtresse de maison mal à l'aise, mais pas vous.
On est épié partout.
Tous les puissants sont faux et menteurs.
L'homme qu'on ne voit jamais gagne beaucoup de prestige.


[* Dans la vie courante, Marcel Dupré réaffirmait volontiers cette implacable attitude, avec un mot plus imagé: « Je ne me replâtre jamais » !]

AFFAIRES:
Ne jamais donner un manuscrit. Aux éditeurs, des copies. Rien aux bibliothèques.
Garder et classer tout manuscrit.
Répondre au courrier sans retard, brièvement.
À chacun, rien que ce qui le regarde.
Éviter les lettres de discussion; elles sont dangereuses.
Être vague au téléphone, promettre plutôt d'écrire des précisions. Le faire ensuite après réflexion.
Ne demander qu'une chose par visite de sollicitation.
Apprendre à refuser, en conversation, au téléphone, et par lettre.
Refus de rendez-vous: rester vague.
Refus de corvées: seule excuse irréfutable, dire: "J'ai déjà refusé cela récemment. Si j'accepte, je vais peiner mes amis".
Refuser d'écrire tout article d'appréciation. Se borner aux articles impersonnels ou de nécrologie.

Ne pas confondre:
musicien avec musicologue
artiste      //   marchand
savant     //    pédant
mécène   //    amateur
employeur  //  collaborateur
conseiller   //   ami
femme     //   intrigante
approbateur // solliciteur

Esprit de sacrifice: férocité envers soi-même.

Oublier une offense, c'est oublier une leçon.

En ce qui concerne la documentation, être comme l'avare: amasser, classer, garder, cacher.

Lutte contre les factions:
1° - Leur prendre les parties justes de leurs idées.
2° - Mettre en lumière chaque faiblesse de leurs exagérations.
3° - Dévoiler les intérêts occultes des meneurs. »

« ESTHÉTIQUE :

Toute oeuvre grande naît d'une nécessité.

Le succès scientifique réside dans la découverte: il est indiscuté.
Toute oeuvre d'art doit également témoigner d'une découverte. Elle est ainsi une oeuvre première.

Ne pense point à la postérité: chaque génération est un peu plus bête que la précédente.

Le savant ne connaît la minute suprême de la découverte qu'une ou que quelques rares fois dans sa vie.
Le penseur aperçoit plus fréquemment des rapports. Mais l'illumination qu'ils apportent est beaucoup moins forte.
L'artiste enferme sa sensibilité du moment dans une forme perceptible.C'est le miracle de l'Art si le contenu émotionnel ne refroidit pas, au cours du temps.

En science, le savant doit assimiler et utiliser toute vérité récemment acquise.
En Art, l'artiste doit juger toute tentative esthétique en fonction des fondements immuables de l'art, et la défendre, ou la condamner.

Aristote:
Il n'est de science que du général.
On peut dire: il n'y a d'Art que l'individuel.
Aristote:
Le beau est l'ordre et la grandeur.
Il est: coordination, symétrie, précision.

Les matières considérées comme précieuses ont comme caractéristiques d'être rares et inaltérables.
Dans le domaine esthétique, on constate la rareté des oeuvres dont la beauté apparaît aux générations successives comme constante, ou inaltérable.

La manifestation du beau artistique est, ainsi que la beauté de la nature, sans autre but que d'être offerte à la contemplation. En conséquence, il n'y a pas d'Art moraliste.

La durée de l'oeuvre, sa dimension, le temps passé à sa création, son intensité sonore, la vitesse, l'époque, la nationalité sont sans valeur propre. »

« - Sur la Traite des Arts -

(définition: marchandage sans le consentement de l'intéressé)
La traite des blanches relève des tribunaux.
Sanction de la traite des noirs: révocation *.
La traite des auteurs et interprètes par les compagnies et commerçants est sans aucune sanction. »


[* Rappelons qu'en 1950, la France est encore à la tête d'un vaste empire colonial, notamment en Afrique. Cette ligne fait allusion au fait qu'un fonctionnaire de l'Etat français ou un militaire qui se serait encore livré à la traite négrière aurait été passible de révocation.]

« Préceptes allant à l'encontre de l'ordre social accepté:

N'édictez pas des exercices que vous ne pouvez pas faire; c'est ruiner votre prestige.
Ne jugez pas des techniques que vous ne pratiquez pas, ni des candidats plus forts que vous.
N'enseignez pas des matières que vous ne possédez pas à fond.
Contrairement à l'usage, le compositeur n'est pas apte à tout juger. De plus, il a ses déformations professionnelles. »

« BUTS DE LA MUSIQUE :

Ce n'est pas la réussite sociale, mais le pouvoir de création et de diffusion, soit l'ensemencement de l'individu (créateur, interprète) et de la race (public).
Toute tentative de commercialisation stérilise le pouvoir spirituel. »

« Fréquente les 20 génies authentiques de la musique, et rien qu'eux. Tu y puiseras à la fois la modestie et la confiance. »

« Éloquence: (c'est avoir la conviction qu'on proclame une vérité). En musique: allier l'émotion intérieure à la discipline du rythme . »



[ Manuscrit inédit. Collection particulière Falcinelli]









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