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Rencontre avec Finghin Collins


La longiligne silhouette du pianiste irlandais (né en 1977) promène une grâce courtoise et une volubilité cordiale au gré des rencontres que favorise la cohabitation festivalière. Il peut même advenir qu’il y serve de traducteur tant il pratique couramment une demi-douzaine de langues, jusqu’au russe et – dit-on – un peu de coréen ! À Wissembourg, il retrouve d’ailleurs un de ses camarades, puisque Finghin Collins et Nicolas Stavy furent condisciples dans la classe de Dominique Merlet au Conservatoire de Genève : formidable moisson qui vit éclore la même année deux jeunes pousses aussi brillantes ! D’une belle voix au timbre sonore de clair baryton, Finghin Collins dispense une conversation épicée d’humour, de vivacité, d’élégance ironique, et cultive l’art de manier une chaleureuse désinvolture tout en restant parfaitement professionnel. Sa fréquentation nous rappelle que le plus fin des hommes d’esprit issus des Iles britanniques était... un Irlandais : Oscar Wilde. Ne commettez jamais l’erreur de confondre dans un même bouillon de culture Anglais et Irlandais, Finghin Collins vous reprendrait malicieusement, mais avec une celtique fierté ! Qu’il s’agisse des participants à l’organisation du festival ou des auditeurs assidus, tous ont été conquis par son charme, et depuis des années, Wissembourg sans Finghin Collins ne serait plus Wissembourg. C’est cependant d’un ton fort sérieux qu’il se raconte ici à nos lecteurs.

S.F. : - Si un pianiste né en Allemagne, en France, dans les pays de l’Est, grandit entouré d’écoles nationales fortement caractérisées, comment un natif d’Irlande envisage-t-il les voies où s’insérer ?
F.C. : - - J’ai été très influencé par John O’Conor, le grand pianiste irlandais, qui venait d’une tradition marquée par l’Autriche (il avait gagné le Concours Beethoven, étudié à Vienne avec Dieter Weber, pris des cours avec Wilhelm Kempff). J’ai étudié avec lui depuis l’âge de 6 ans jusqu’à 22 ans, donc je me sentis très tôt imprégné de classicisme viennois et surtout de lignée beethovenienne. Il est vrai qu’en Irlande, il n’y a pas de tradition enracinée de musique classique, mais, même dans les grands pays de tradition musicale que vous indiquiez, chaque individu doit trouver sa voie au sein de celle-ci. Donc j’ai trouvé ma voie personnelle, voilà tout.
S.F. : - Les Iles britanniques ont en revanche témoigné d’une ouverture d’esprit exceptionnelle aux répertoires venus de tous horizons.
F.C. : - - En effet, et moi-même, je ne suis pas resté dans Beethoven, je suis très ouvert dans mes propres choix. J’ai joué autant Rachmaninov, Prokofiev, que Bartók ou Schumann. Je suis parfois venu à ces répertoires par hasard. Par exemple, j’ai enregistré quatre disques de Schumann, mais jusqu’à l’âge de 22 ans, je n’avais jamais joué une note de Schumann. J’ai remporté le Concours Clara Haskil à Vevey, où les Variations Abegg figuraient parmi les pièces imposées ; puis on m’a proposé de participer à l’intégrale de l’œuvre pour piano de Schumann, montée précisément par le label suisse Claves qui collaborait avec le Concours. J’ai alors travaillé maintes partitions de ce compositeur, les inscrivant pendant des années à mes programmes de concerts... Mais vous voyez que les directions impulsées à mon répertoire n’étaient pas planifiées. Je peux me mettre à n’importe quel compositeur : tout est de la musique ! Peut-être suis-je typique de cette réceptivité britannique dont vous parliez ?
S.F. : - À Wissembourg, on va vous entendre dans Debussy.
F.C. : - Oui, j’adore maintenant jouer Debussy ; je suis dans mon élément quand j’interprète les Images. Je joue aussi beaucoup de musique de chambre de Fauré...
S.F. : - On sait combien les interprètes britanniques ont apporté à la musique française !
F.C. : - Et ils la défendent fort bien. Je ne pense pas qu’il faille être allemand pour jouer Bach, français pour jouer Debussy... Voyez les Japonais : Mitsuko Uchida joue Mozart comme un rêve. Nous sommes des êtres humains, nous respirons de la même manière. La première fois que je me suis produit à Paris, c’était au Châtelet, après le Concours Clara Haskil : à mon programme, le premier cahier des Images de Debussy ; je n’avais pas froid aux yeux en présentant de la musique française aux Français ! Je me disais : je pense que je peux la jouer aussi bien qu’un Français, s’ils n’aiment pas, tant pis ! La musique parle au-delà de toutes les frontières.
S.F. : - Parmi vos disques, vous avez défendu un de vos compatriotes, Charles Villiers Stanford. Vous sentez-vous investi de la mission de faire connaître la musique de votre pays ?
F.C. : - Oui, et c’est important. Il y a très peu de compositeurs issus de l’Irlande. Tout le monde connaît John Field, présenté comme le précurseur de Chopin par son "invention" du Nocturne, mais Villiers Stanford mériterait un égal respect. Même si ce dernier est né à Dublin, il venait d’un socle anglo-protestant, il est parti très tôt pour Londres, et a construit toute sa vie musicale à Cambridge. Mais c’était tout de même un Irlandais, il fait partie de notre pays, de notre société. J’ai connu la musique de Stanford depuis mon jeune âge, car un ami de ma famille – organiste, musicologue, professeur de chant – voue une passion à Stanford. Ma sœur, de dix ans mon aînée, est pianiste, même si elle joue malheureusement très peu, consacrant son temps à ses enfants ; or c’est à elle, alors qu’elle avait 20 ans (j’en avais donc 10), que cet ami a proposé le 2ème Concerto de Stanford, qu’elle enregistra effectivement pour la Radio de Dublin. Donc, dès cet âge-là, j’étais conscient de la valeur de Stanford ; j’ai joué à mon tour le Concerto pour le 150ème anniversaire de la naissance du compositeur, puis aux Proms de Londres en 2008 (c’était la première fois qu’il y était programmé puisqu’un projet avait vu le jour en 1915 mais n’avait pu se concrétiser). Finalement, je l’ai enregistré en 2010. Cette année, je l’ai encore joué à Dublin. Mais je ne pense pas que ses autres concertos et ses pièces pour piano seul se tiennent au même niveau. Je sais l’existence d’un beau Quintette... Malheureusement, après Stanford, on ne distingue guère de compositeur irlandais intéressant. Nous avons en revanche de grands écrivains, mais pour la musique, nous sommes moins bien dotés.
S.F. : - Et jouez-vous de la musique contemporaine ?
F.C. : - Oui, j’ai déjà donné des créations. Je ne suis pas très féru de musique contemporaine : si vous me donnez le choix, je préfère jouer une belle sonate de Schubert, mais j’ai moi-même commandé une œuvre pour deux pianos au compositeur irlandais Stephen Gardner à l’occasion de mon festival de piano qui aura lieu à New Ross en septembre 2011. L’année prochaine, je vais créer une œuvre pour piano et orchestre, en tant qu’artiste associé à l’Orchestre symphonique de Dublin. Mais je ne veux pas me spécialiser dans ce domaine.
S.F. : - Je trouve que les pianistes de grand répertoire apportent un modelé sonore plus travaillé, plus gratifiant, à la musique contemporaine, alors que les interprètes s’enfermant dans ce répertoire pèchent souvent par une sonorité desséchante.
F.C. : - Oui, votre point de vue est intéressant. Il faut en effet garder un pluralisme de répertoire.
S.F. : - Parlez-nous de votre Festival de New Ross.
F.C. : - Je l’ai créé il y a six ans, avec une équipe de bénévoles, dans une ville de 8000 habitants du sud-est de l’Irlande. Nous sommes établis dans le même Comté que Wexford, où se déroule le fameux festival d’opéra. Les concerts ont lieu dans une église offrant une belle acoustique et pouvant accueillir quelque trois cents personnes.L’atmosphère y est très sympathique.
S.F. : - La vie musicale irlandaise est-elle stimulante ?
F.C. : - Il s’y passe beaucoup d’activités. Je pense à l’Irish chamber orchestra, basé à Limerick, dans le sud-ouest du pays. Un quatuor à cordes est en résidence à Cork. L’Irlande a vécu un grand boom économique, maintenant nous vivons la crise, mais le boom nous a donné beaucoup de nouvelles salles, des petits théâtres polyvalents, des festivals (de théâtre comme de musique). Celui de Kilkenny propose une très belle série musicale au sein d’une programmation dédiée à tous les arts. Il y a des saisons de concerts dans des villes comme Galway, Waterford, Cork, surtout consacrées à la musique de chambre et aux récitals, mais le public suit. L’Irlande n’est pas densément habitée, donc on ne saurait viser des auditoires aussi nombreux que les grandes capitales européennes.L’Irlande ne peut se comparer à la Finlande, où la vie musicale offre un luxe extravagant, mais par rapport à notre histoire, le bilan s’avère positif. Dans les petites villes, on trouve maintenant des pianos de meilleure qualité que dans ma jeunesse ; tout s’améliore. J’espère que, malgré la crise, on pourra garder ce niveau, car tous ces petits théâtres dépendent des subventions gouvernementales, et l’État ne peut plus payer autant. On craint que quelques salles ne doivent fermer, ce qui serait désastreux. À Dublin, les grandes séries orchestrales se déroulent dans une salle de 1200 places (c’est une bonne taille par rapport à la ville). Par exemple, l’Orchestre de Philadelphie va y jouer lundi prochain pour la première fois.
S.F. : - La notoriété d’un artiste à l’étranger fait de celui-ci un ambassadeur de son pays, et c’est maintenant votre cas par rapport à l’Irlande. Êtes-vous décidé à rester dans votre pays, bien que vous puissiez ambitionner de vous installer dans n’importe quelle capitale ?
F.C. : - Oui, à cent pour cent. J’adore voyager, mais je me sens très enraciné en Irlande. C’est important pour la vie musicale du pays que j’y reste, mais c’est bien pour moi aussi, car il n’y a pas beaucoup de pianistes en Irlande ! On m’a attribué un honneur considérable en me donnant cette position d’artiste associé auprès de l’orchestre de la capitale : cela vaut bien que je reste fidèle au pays... tout en bougeant beaucoup par ailleurs.
S.F. : - Voudriez-vous détailler vos conceptions d’interprétation relatives aux compositeurs que vous jouez le plus ?
F.C. : - C’est difficile à exprimer en mots. Comment est-ce que je joue Schumann, ou Debussy ? Je réagis à la musique, voilà tout. Je suis une personne qui réagit de manière très personnelle et instinctive à la musique, et cela change d’un jour à l’autre, ce n’est guère planifié. Certes, je travaille, je cherche mes doigtés, etc., mais je n’établis pas de stratégie en me disant : "là, je vais faire ceci ; à telle page, je vais faire cela". En matière d’interprétation, j’aime la spontanéité totale. Ce que j’ai joué plus vite, la prochaine fois je le jouerai peut-être plus lentement, je me sens très libre... [en souriant] cela dépend du temps qu’il fait, de ce que j’ai mangé, des personnes qu’il y a dans la salle, du piano que je joue. Je laisse la porte ouverte aux idées improvisées, la musique doit rester très fraîche. Oui, ce que je cherche à retrouver dans une musique, c’est sa fraîcheur. Je me dis souvent qu’elle devrait sonner comme au jour de sa naissance ; parfois, j’imagine que je suis Schumann jouant pour ses amis les pages qu’il a écrites la veille. Schumann était le maître de la fantaisie, et c’est ce que l’on doit restituer en jouant sa musique, sans esprit trop rigoureux ni calculé. Mon tempérament est ainsi, je ne joue jamais deux fois de la même manière, un concert ne ressemble jamais à un autre... heureusement !
S.F. : - Qu’est-ce qui vous séduit dans l’esprit schumannien, si complexe psychologiquement ?
F.C. : - J’aime précisément le fait qu’il change tout le temps ; on connaît les deux fameux caractères, Eusebius et Florestan, mais il n’y a pas que cela. Schumann change complètement de caractère dans l’instant, et je pense que je réagis bien à cela. C’est un kaléidoscope de couleurs et j’aime qu’il ait créé toutes ces formes de Fantasiestücke ou autres Bilder (Kinderszenen, etc.), s’éloignant de la Sonate ; c’était tellement nouveau à l’époque ! J’apprécie ces courtes tranches de musique : ici du soleil, puis soudain de la tristesse. Je n’ai pas encore joué les Sonates de Schumann. Les images tournent dans ma tête tandis que je joue, et c’est pourquoi j’aime accompagner les lieder, car les mots suscitent en moi des visions qui animent mon jeu. Très souvent, si je ne trouve pas le caractère d’une pièce, je crée une petite histoire, m’interrogeant sur ce qui pourrait se passer lors de telle page, et j’invente une péripétie pour animer la situation. Quand je donne des master-classes, je demande aux étudiants : "qu’est-ce qui se passe ici ? Tu dois raconter une histoire". C’est pourquoi j’aime tant Schumann : souvent il inscrit des titres évocateurs, un mot éveille une idée, c’est fascinant.
S.F. : - Ce que vous dites des changements impromptus de couleurs chez Schumann conduit, dans un autre ordre d’esprit, à Debussy. Des touches de couleur jetées sur la toile...
F.C. : - Oui, c’est vrai. Là encore, les titres évocateurs nous guident. Un titre comme La lune descend sur le temple qui fut, voilà qui est sublime ! Décidément, j’adore jouer Debussy.
S.F. : - Mais ce penchant pour les évocations schumanniennes et debussystes ne vous a cependant pas détourné de la tradition classique viennoise, qui est en revanche très abstraite (la musique pure !).
F.C. : - Parmi tout le répertoire, l’une de mes préférences va aux Concertos de Mozart (dont je vais donner l’intégrale à Dublin). Quand je joue un Concerto de Mozart, je ne peux pas imaginer une histoire, mais je suis transporté aux cieux ! Respectant une forme traditionnelle d’une complète abstraction, Mozart trouve le moyen de créer un monde extravagant de couleurs : on y rencontre l’opéra, la folie, la danse. La beauté des mélodies dans les concertos de Mozart me subjugue ! C’est un tout autre monde que Schumann, mais il me fascine autant. Je trouve aussi mille choses à suggérer quand j’accompagne des lieder de Schubert. Notre chance, en tant que pianiste, est de pouvoir participer à des expériences très différentes. Un soliste peut très bien se faire accompagnateur de la voix ; je joue avec une chanteuse néerlandaise, Lenneke Ruiten, qui chante comme un ange. J’aimerais donner plus de récitals de lieder, mais on a du mal à trouver des possibilités : les organisateurs ne veulent pas des concerts de lieder, ils en ont peur, ce qui me choque. Chez nous, en Irlande, je puis vous assurer que peu de concerts sont consacrés aux lieder, alors que beaucoup programment de la musique de chambre. Je ne comprends pas ; le support des textes, la richesse poétique devraient offrir un attrait.
S.F. : - Les grands pianistes du passé restent-ils des références que vous aimez écouter ?
F.C. : - Je ne suis pas quelqu’un qui écoute beaucoup les anciens. Ayant gagné le Concours Clara Haskil, je me suis bien sûr intéressé à elle : c’était une grande mozartienne, et aussi une grande schumannienne. J’aime par exemple écouter Radu Lupu pour Brahms, Schumann ; j’ai déjà évoqué Misuko Uchida dans Mozart. Mais, plus je vieillis, moins j’écoute : je cherche ma propre voie, et je ne veux pas trop me laisser influencer. Je sais que Nicolas [Stavy] adore écouter de vieux enregistrements pendant des heures, et peut vous faire les comparaisons les plus pointues. Mais moi, je ne suis pas du tout comme cela ! Quand je ne joue pas mon piano, je préfère pratiquer le jardinage, cuisiner, ou aller au cinéma, mais pas écouter un autre pianiste !
S.F. : - En dehors du piano, quels répertoires aimez-vous ?
F.C. : - L’opéra. Je suis fou des opéras de Mozart, de Verdi, de Puccini. Je ne suis pas du tout wagnerien, le seul opéra de lui que j’apprécie est Tannhäuser,... le reste viendra peut-être avec le temps. Rossini, Donizetti, Bellini ? je peux vivre sans eux. Mais Mozart et Verdi sont pour moi les deux dieux de l’opéra. Quand j’avais 14 ou 15 ans, je passais tout mon temps libre à découvrir des opéras, j’achetais tous les enregistrements possibles ainsi que les partitions, et je suivais, pris d’une véritable folie. Je me souviens de ma découverte de Don Giovanni : comment pourrait-on vivre sans connaître ni aimer cette musique ?!
S.F. : - C’est une source d’inspiration lorsque l’on joue les Concertos pour piano, si proches des ouvrages lyriques dans le processus créateur de Mozart.
F.C. : - Mais oui, ils sont de la même veine : ses Concertos reflètent les opéras, Mozart les écrivait simultanément.
S.F. : - Il est donc essentiel de bien connaître ses opéras pour faire ressortir la cantabilità de son écriture pianistique. De ce fait, votre expérience de partenariat avec des chanteurs doit vous guider.
F.C. : - En effet, il faut que le piano chante ! Fin septembre, je vais diriger pour la première fois l’Orchestre de Dublin, avec cette soprano néerlandaise dont je vous parlais, dans quatre des Airs de concert de Mozart ; je dirigerai aussi l’Ouverture de Così fan tutte et la courte Symphonie n° 26. Dans la deuxième partie, je jouerai et dirigerai le Concerto K. 450, et pour finir, nous donnerons Ch’io mi scordi di te. Ce sera une nouvelle expérience pour moi : j’avais un peu étudié la direction, mais n’avais plus dirigé d’orchestre depuis longtemps. C’est un honneur qui m’est fait, et je m’en réjouis vraiment. À une certaine époque, je voulais mener de front le piano et la direction d’orchestre ; maintenant, ce goût m’est un peu passé, mais si on m’en donne la possibilité, j’aspirerais à diriger Mozart, non à devenir un chef brucknerien ou mahlerien, pas même beethovenien. J’ai désormais une pratique approfondie de nombre de ses Concertos, et c’est extraordinaire de pouvoir les diriger aussi. J’aimerais explorer la possibilité de travailler les couleurs dans Mozart, je pense que je pourrais y réussir assez bien. Mon rêve serait de diriger un opéra de Mozart. Espérons...

Sylviane Falcinelli
(Entretien réalisé en français le 29 août 2011)


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Pour écouter Finghin Collins au disque :



Mozart : Concerto pour piano n°12 K 414, avec un quintette à cordes de solistes de l’Orchestre de chambre de Lausanne (demi-finale du Concours Clara Haskil 1999) ; Beethoven : Concerto pour piano n°3, avec l’Orchestre de chambre de Lausanne, dir. Emmanuel Krivine (finale du même concours). Claves CD 50-9910.
Pour découvrir les germes déjà bien affirmés des qualités que nous admirons chez Finghin Collins, voici l’enregistrement "live" du Concours Clara Haskil qu’il remporta en 1999. Que le Mozart émane seulement de la demi-finale nous vaut la réduction frustrante (et parfois à peine supportable) de l’orchestre au quintette à cordes, mais consolez-vous dans les cadenze où le pianiste est seul et laisse parler ses raffinements de phrasé et d’articulation, ainsi que dans l’Andante, dessiné avec une magistrale pureté. C’est dans les mouvements lents que se révèle un authentique musicien, et vous en aurez confirmation en écoutant le Largo du 3ème Concerto de Beethoven, qui nous incite à voter d’un même élan que les jurés du concours !



Robert Schumann : Vol. 1 - Fantasiestücke op. 12 et op. 111, Arabeske op. 18, Blumenstück op.19, Humoreske op. 20, Allegro op. 8, Kinderszenen op. 15, Drei Romanzen op. 28, Waldszenen op. 82. Claves CD 50-2601/02 (2 CDs enregistrés du 18 au 26 août 2005).
Vol. 3 : Variations Abegg op.1, Intermezzi op. 4, Études symphoniques op. 13, Bunte Blätter op. 99, Nachtstücke op. 23, Faschingsschwank aus Wien op. 26. Claves CD 50-2806/07 (2 CDs enregistrés du 13 au 15 octobre et du 17 au 19 novembre 2008).

Le label suisse Claves imagina de confier une nouvelle intégrale Schumann à trois jeunes espoirs du piano : pari téméraire, tant il faut de maturité pour pénétrer les méandres de l’âme schumannienne ! Pari gagné s’agissant de Francesco Piemontesi, capable de faire vivre avec une étonnante maturité les trois Sonates et la Fantaisie op. 17 comme un théâtre fantasmé, moins avec Cédric Pescia, au jeu pas toujours assez "dégrossi". Quatre disques revenaient au seul Finghin Collins : une personnalité inventive, pleine de hardiesse, s’y fait jour, dominant son clavier avec une insolente autorité, s’adonnant parfois à des sophistications de toucher ou de phrasé pour sertir tel détail qui l’aura fasciné. Le goût pour la versatilité des humeurs schumanniennes, dont il nous parle dans l’interview ci-dessus, s’y manifeste avec une audace fantasque. Mais l’intériorité mise à nu dans la plus grande simplicité ne s’y exhale pas moins (Kind in Einschlummern et Der Dichter spricht de l’op. 15).
À qui veut percer les secrets de la vertigineuse articulation de l’Irlandais, on conseillera d’écouter la virevoltante interprétation de Traumes Wirren (op.12), ou l’intrépide et kaléidoscopique Allegro op.8 (si riche de mystères dramatiques) ; mais la fluidité de l’Arabesque, ou le piquant du Hasche-Mann (des Kinderszenen) ne sont pas en reste. La beauté des climats créés dans l’Humoreske classe l’interprétation de Finghin Collins parmi les plus magiques de ce chef-d’œuvre complexe, incompréhensiblement négligé par les programmateurs de concerts (Radu Lupu, admiré de notre artiste, en donna en son temps une version mémorable et bien différente). La hauteur de vue sur des œuvres injustement marginalisées convie à de fécondes redécouvertes, par exemple les Romanzen op. 28 : la fièvreuse première, l’élégiaque deuxième, la capricieuse et polymorphe troisième, interprétées à ravir. Cette fraîcheur jaillissant comme au premier jour – dont il parle aussi dans l’interview – , on la retrouve dans les admirables Waldszenen. Quant aux Fantasiestücke op.111 – qu’il vient de redonner au festival de Wissembourg 2011 – l’écoute de l’ enregistrement de 2005 démontre quelle pénétrante compréhension il apportait d’emblée à ce recueil si émouvant puisque rien ne manquait à la poésie expressive et aux gestes rhétoriques de cette première rencontre. D’un trait qui n’hésite pas à se faire anguleux, il met en relief la singulière modernité du langage des Intermezzi op. 4, peut-être l’un des recueils les plus étranges du compositeur. Noblesse, élégance, pugnace autorité se conjuguent dans les Études symphoniques dont on se félicite qu’elles réintègrent leurs variations posthumes qui, certes étrangères à l’élan propulsant l’ensemble (ce qui conduisit Schumann à les écarter), apportent entre les variations plus connues des plages de mystère ou de rêveuse divagation non dédaignables dans l’économie générale de la partition. Ces enchaînements sont ici négociés avec sensibilité. L’élégance prine dans les Bunte Blätter, ce qui nous laisse sur notre faim en comparaison de la poignante plongée psychanalytique accomplie par Claire Désert (Mirare) dans ces recueils en forme de journal intime. On admirera néanmoins la 4ème murmurée dans un souffle, la tristesse d’une 7ème en proie à de déprimantes réminiscences, la houle grondant dans la 10ème.
Au terme d’un corpus de si haut niveau où l’instinct d’un interprète électrisant nous convainc d’une familiarité souvent saisissante avec le style du compositeur, on s’étonne d’un Carnaval de Vienne traité en plus d’une page avec une pesante brutalité, et globalement extérieur au sujet. Mais ce seul faux pas ne saurait ternir l’image d’un ensemble exceptionnel, qui de surcroît bénéficie d’une prise de son très précise et directe.
On notera les délais d’enregistrement très courts impartis pour de tels programmes. Aujourd’hui, les jeunes pianistes doivent être (et sont, pour les plus performants d’entre eux) des Supermen armés d’infaillibilité technique !




Charles Villiers Stanford : 2nd Piano Concerto in C minor op. 126 ; Concert Variations upon an English theme “Down among the dead men” in C minor op. 71. RTÉ National Symphony Orchestra, dir. Kenneth Montgomery. Claves CD 50-1101 (enregistré du 8 au 11 juin 2010).
Au festival de Leeds en 1910, Charles Villiers Stanford dirigea le 2ème Concerto pour piano en ut mineur de Rachmaninov avec le compositeur au piano. Cette expérience sembla l’avoir profondément marqué puisqu’il entreprit aussitôt un 2ème Concerto... dans le même ton. Les influences de Rachmaninov mais aussi de Brahms sont indéniables ; pourtant, on se tromperait gravement en négligeant une œuvre qui n’est nullement un plagiat, car elle vit de son propre lyrisme, sans temps mort, et comblera autant les mélomanes que ses rivales plus connues.
Antérieures (1898), les Variations de concert sur le thème d’une chanson à boire (les dead men désignent les "cadavres" de bouteilles ! La traduction du titre serait : Par terre parmi les cadavres de bouteilles), toujours en ut mineur (décidément !), composent une autre forme de concerto, fidèle à la veine d’un post-romantisme au large souffle empreint de gravité (musicalement, rien ne vient rappeler le sujet de la chanson !). Le soliste s’y voit offrir une vaste palette où exprimer tout la densité de son éloquence et la puissance de sa virtuosité.
Finghin Collins met autant de panache que de délicatesse chantante à défendre son compatriote, soutenu par la direction énergique, cravachante de Kenneth Montgomery, tandis que l’Orchestre National de la Radio irlandaise déploie toutes ses qualités.
La prise de son est malheureusement un peu mate.
Un disque à recommander chaudement pour vaincre les préjugés qui relèguent les compositeurs britanniques à un rang mineur (honteuse erreur !), alors que la qualité d’écriture et l’expressivité sincère que l’on goûte souvent dans leur musique devraient leur assurer une large audience.

Sylviane Falcinelli









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